Alors oui, je te l’annonce tout de suite lecteur : cet article sera étrange et recourra abondamment à des métaphores culinaires. Je pars d’un constat simple : dans un monde obèse et mal nourri, il faut revenir aux fondamentaux… bruts et crus.
L’illusion des saveurs qui cache l’insipide
Je vais vous demander un petit exercice cérébral ici : si notre vie se résumait à un plat de viande, à quoi ressemblerait-il à l’heure actuelle ? Quelle serait la recette que la société nous incite à suivre ? Seriez-vous un mangeur affamé ou quelqu’un qui se force ?Bon ok, la comparaison est tordue mais vous allez vite comprendre. Je pense que nous vivons aujourd’hui en cachant le gout de notre vie avec le plus d’épices, et surtout d’aromes ajoutés… et ceci car nous avons peur du gout crue de la vie, nous avons peur de voir une vérité cruelle : sans tous les artifices notre vie est le plus souvent fade au mieux, au pire complètement avariée.
Ces arômes ajoutés portent l’illusion que notre vie a plus de gout, ils nous permettent de faire passer la pilule au quotidien. Pour cacher souvent un plat immangeable on agrémente des “occupations”, ou plutôt ce que j’appellerais des divertissements. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Ca peut-être pour vous : l’actualité politique, parfois une identité religieuse, les jeux vidéo, la drogue… Je ne peux pas le dire à votre place mais je suis sûr que 3 minutes 30 d’introspection sincère vous permettront de faire une petite liste.Pour moi c’est assez simple, c’est avant tout l’actualité politique, les médias sociaux et les écrans en tout genre qui me permettent parfois d’épicer ma vie à en frôler l’indigestion.
Ce que n’est pas la Raw Life
Alors attention je vous l’annonce tout de suite : je ne suis pas luddite, je ne vous demande pas de vivre dans une cabane dans la forêt et de n’utiliser que des technologies qui existaient déjà au 17ème siècle. J’ai du respect pour les amish, mais la vie crue ne concerne pas un cosplay ou une écolo-dissidence quelconque. Je suis profondément Prométhéen dans l’âme (voir l’article de mes amis de Rage Culture ici ). Mais je suis aussi parfois un techno-critique, je pense que toutes les avancées ne se valent pas en qualité et que parfois certaines technologies ne font que répondre à notre réflexe hédoniste et primaire.
Pour “réussir” dans notre siècle je pense qu’il est indispensable de faire la part des choses, de distinguer les technologies qui nous servent et celles qui se servent de nous. Qui capturent notre attention et qui nous font perdre de précieuses heures de cette vie si précieuse. Pour moi c’est évidemment l’actualité politique et tous ces écrans pseudo-culturels (comme des vidéos youtube) qui me gâchent mon plat. Je passe bien trop de temps dessus et au final même si je me donne l’illusion d’en retirer quelque chose, une demi seconde d’authenticité et de vérité me fait avouer que ce sont surtout des divertissements. Des divertissements pour passer le temps, procrastiner, donner du relief à un quotidien qui ne me convient pas tout à fait. Ils me permettent de passer confortablement une vie que je sens parfois, pendant des moments de réalité crue, ne pas aller dans le bon sens ou dériver doucement vers ce que je ne veux pas.
Ma solution à ca ? La vie crue. Enlever en partie ces artifices et ces divertissements pour me confronter à la nature et l’essence brute de mon existence. Je veux être confronté le plus possible à mon existence directe, toucher du doigt la matière de mon existence… Parfois quitte à tomber sur une saveur insipide ou rance. Je ne pense pas que l’on puisse changer sa vie sans avoir été confronté à ce qui ne va pas. La vie crue permet d’affronter ca frontalement et honnêtement.
Au quotidien cela s’exprime par un effort volontaire de me débarrasser du superflu qui normalement me divertit : limiter drastiquement les réseaux sociaux, résister aux FOMO des médias, écrire pour voir mieux l’ensemble de sa vie sous une lumière vive. Ce blog est donc en lui-même une composante de ma philosophie. Quoiqu’on en dise, l’écriture ne ment pas. Vous pouvez vous divertir à en mourir, pour écrire il faut se retrouver devant une page blanche et interroger ce qu’on a au fond de nous. Après avoir eu une réalisation du gout cru de notre vie, nous pouvons alors décider nous-mêmes des épices. Nous pouvons décider de quelles saveurs ajouter, de ne pas utiliser de plats préparés qui donnent le diabète et rendent obèses (même philosophiquement). Nous pouvons alors ajouter avec parcimonie les épices naturelles et bénéfiques qui nous permettront alors de rajouter du gout à une vie crue qui nous satisfait déjà.
Le retour à la Phusis pour re construire un Nomos
C’est là que je veux vous amener sur la distinction entre la Nature et la Culture, ou plutôt entre la φύσις (la nature, ce qui croit de soi même) et le νόμος (la loi, la coutume, la règle). Pour tout te dire, après avoir écrit une bonne partie de l’article, le sujet ne m’intéressai plus et il est resté dans un coin pendant plusieurs jours… Jusqu’à ce que je tombe sur plusieurs textes de Nietzsche parlant de l’importance de la cruauté.
De là, plusieurs recherches me mènent à un constat : ce mot français vient du latin crūdēlitās → qui lui même est formé de crūdus qui signifie “cru, saignant, non adouci”.
Si on remonte à la racine indo-européenne on tombe sur krewh₂ (qui est étrangement similaire à krewh qui lui signifie le domaine du froid en général. En revenant à ces questions d’étymologie j’en tire un constat : derrière la notion de cru qui entoure cet article, on peut retrouver la cruauté (Grausamkeit) que Nietzsche qualifie dans plusieurs de ses ouvrages comme socle de la mémoire humaine et prérequis de la formation de hautes cultures.
En prenant pour fondation le texte de Costin Alamariu (un ami très proche de BAP…) on peut dire que l’Homme est avant tout influencé par la Nature ou le Nomos (compris comme loi, habitude ou morale commune). Selon Costin, tout le renversement établi par Nietzsche et certains auteurs antiques expriment une volonté de revenir à la Nature plutôt que de perpétuer un Nomos qui parfois est décadent. En ce qui me concerne, même si je comprends la nécessité du Nomos pour le plus grand nombre, je pense que “les maitres de la terre” (die Herren der Erde) doivent toujours essayer de retourner à cette Nature, ce sens brut, cru et primal de notre réalité. On ne pourra créer une nouvelle mythologie pour l’Occident qu’en retournant à notre source commune : La raw Life, la Phusis, la Nature.



